Episode 20 : ▶️le transfert des routes nationales à la Région.◀️ (18/12/24)


 Au 1er janvier prochain, la Région Grand-Est va récupérer la gestion des autoroutes et principales routes nationales sur son territoire. Et voici pour quoi ceci est une idée absolument foireuse.

L’affaire court depuis plusieurs années ; il s’agit de la loi 3D. 

C’est une loi nationale, qui poursuit les vagues de décentralisation des routes nationales, après les paquets de 1973 et 2005. Contrairement aux précédents transferts, ici c'est plus diffus, sans objectif précis, et -détail important- basé sur le volontariat. Autrement-dit, cette fois-ci les collectivités ne sont pas obligées d'accepter ce transfert, "l'Etat n'impose rien". 

Outre quelques transferts à des départements dès 2024 (à la Moselle et la Haute-Marne chez nous), en fait seules trois Régions ont accepté les propositions: Grand-Est, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes. 

Et voici donc de quoi il s'agit: nos autoroutes gratuites (A31, A30, A33, A313/314/315/320) et voies rapides N431, N4 & N44)


Pour nous usagers, cela ne va pour ainsi dire rien changer (c'est toujours ça de pris). Contrairement à l'année dernière (ex RN 33, 52, 61 & 67 en Haute-Marne), cela ne devrait pas entraîner de renommage des routes. Ce n'est pas un transfert de propriété mais un transfert de gestionL'Etat resterait propriétaire, et la délégation de la gestion ne durerait qu'une période déterminée (8 ans). En théorie...

Voilà donc les faits.
A ce stade, déjà, on peut se demander pourquoi les collectivités locales acceptent ce fardeau, ces nouvelles charges, alors qu'elles n'y sont pas obligées et qu'elles se plaignent d'être étranglées financièrement.

La contradiction est bien réelle, mais elle ne se situe pas forcément là où on croirait de prime abord. Bien-entendu, il y a un "transfert de charge" équivalent. 


1) Les arnaques du « transfert de charges »

Le principe, c'est que lorsqu'une collectivité se déleste d'une compétence et la transfère à une autre, il y a un budget équivalent qui suit. C’est une disposition légale. L'Etat va donc céder à la Région de ce qui lui coûtait les routes, et éventuellement du personnel affecté aux infrastructures en question. On peut se dire alors que les collectivités locales lorgnent sur ces nouvelles rentrées d’argent. 
Ce serait une grossière erreur de calcul. Car ce transfert de budget ne correspond qu’à une estimation de ce que coûtent les routes en question sans opération particulière : le ramassage des déchets dans les fossés, l’élagage, le déneigement, la réfection des chaussées de temps en temps (et encore). 

Il est même peu probable que la réfection des ouvrages d’art ait été chiffrée, ceux-ci étant pour la plupart d’origine (construits dans les années 60-70). Vu qu’ils n’ont jamais été refaits, il n’y a pas de coût d’entretien enregistrés. Mais il faudra pourtant les refaire.

Mais la principale arnaque n’est même pas là. Quand bien même le chiffre négocié serait le juste prix, cela ne le serait que la première année. Ensuite, c’est le même montant qui est reconduit. Sans indexation sur l’inflation. Les collectivités locales se font systématiquement avoir, en connaissance de cause. Mais pas tout de suite, et de manière progressive puis exponentielle (la loi des suites). 

Or la situation actuelle est encore pire que cela. Non seulement nous sommes en contexte de forte inflation (donc les collectivités subissent l’arnaque rapidement et avec davantage d’ampleur), mais en plus l’Etat, en mauvaise santé financière, prend de plus en plus l’habitude d’utiliser les collectivités comme variable d’ajustement. 
En ce moment même, tout le monde a entendu parler des « baisses de dotations ». Ces « Dotations Globales de Fonctionnement », c’est le panier dans lequel passe les transferts de charge entre l’Etat et les collectivités. 

L’Etat, plombé par un déficit encore accéléré ces dernières années taille dans la masse. A ce stade, on estime la diète à 5Md€/an, dont 50M/an pour la Région Grand-Est

En résumé, ce que l’Etat est obligé de donner d’une main aux collectivités comme « compensations financières » au transfert des routes, il le reprend de toute façon de l’autre main de manière unilatérale et arbitraire. Seconde arnaque.

Donc la motivation de la Région n’est sûrement pas le maigre pécule : il nécessite de s’alourdir d’un déficit de plus en plus vorace, et ce en plus au moment où l’Etat, à rebours de toute logique de décentralisation, fait les poches aux collectivités….


2) Des Investissements inévitablement anti transition écologique

Ce que nous venons de voir, ce sont les coûts liés aux infrastructures, tant qu’on y fait rien de particulier. 



Evidemment, si on veut y faire des investissements (modernisations diverses, élargissements, rond-points comme à la mode… C’est pour sa poche. Donc il faut aller prendre un peu dans la gamelle des copains.


Et c’est qui les copains ? Et bien à la base le budget mobilité d’une région, c’est essentiellement le TER. Et plus récemment, dans une moindre mesure, des « mobilités actives, partagées et solidaires ». C’est donc ces budgets qui seront rognés pour financer des investissements routiers. 

Et puis ces investissements routiers, pour peu qu’on en connaisse, quels sont-ils ? Et bien c’est globalement des travaux d’augmentation de capacité routière, ceux que l’Etat promet de faire depuis des années sans jamais les faire. 

L'A31 entre Nancy et Metz, à Loisy
C’est l’A31bis (ici l’élargissement entre Metz et Toul ; le projet nord, devant être réalisé sous concession, est exclu du périmètre). Et peut-être des élargissements de la N4 dans la Marne, pour mieux en faire un aspirateur à camions… Et tout ça au détriment du rail.



Or si l’intérêt pour les collectivités de récupérer des routes de l’Etat, ne sont pas des rentrées financières supplémentaires, c’est plutôt pour prendre la latitude politique. Des compétences en plus. 

Il faut dire qu'il y a un gros intérêt d’affichage : face à la tétanie de l’Etat, il serait assez facile de venir dire : « Voyez, lorsque la Région prend les choses en main, les choses avancent ».

Mais même si certains investissements routiers peuvent avoir une pertinence technique, en revanche, dépenser des centaines de millions d’euros dans un contexte de crise climatique (et le nécessaire travail à diminuer les déplacements) est une ineptie, et va frontalement à l’encontre de ces objectifs.

La récupération de l’A31 par la Région, c’est donc aussi de l’argent en moins vers le ferroviaire.  
Soit via une réduction de l’offre TER, soit par le ralentissement des mises en accessibilité des gares (qui avance déjà particulièrement lentement). Soit, plus probable, au détriment de budgets de maintenance de lignes, que la Région débourse massivement pour ralentir le phénomène de fermetures de petites lignes depuis que la SNCF ne les entretient plus par ses deniers (y compris des lignes moyennes telles Nancy – Epinal).


La question s’était déjà posée lors de la dernière décennie, alors qu’il était question que les Régions reprennent sous leur giron les routes départementales. 
Les réflexions avaient déjà conclu que la conséquence inévitable aurait été l’augmentation des investissements vers la route au détriment du rail.


3) Ecotaxe?

C'est un autre enjeu à ajouter. Les collectivités (il y a une guéguerre entre la Région Grand-Est et la fusion des départements alsaciens) pourraient, on ne sait trop comment, en déployer une. L’écotaxe, il faudra y consacrer un gros épisode entier lorsque l’actu nous la remettra. 

En gros c’est une énorme arnaque, ça n’a d’ « éco » que le nom, ça génère d’énormes pertes et ça ne stoppe pas les sommes colossales englouties chaque jour dans le trou noir des péages. Mais ça peut effectivement générer des revenus pour la Région.




Voilà, en résumé la Région qui se retrouve avec les principales routes nationales sur les bras, c’est un déficit structurel qui grandit de manière exponentielle, et ça encourage à des investissements d’augmentation routière pris sur le ferroviaire.



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