Episode 2: 👉les Trains légers 👈 (27/04/22)

 

Vous n'avez pas pu y échapper ces dernières semaines! C’est beau, c’est innovant, c’est marketing.

https://www.la-croix.com/Economie/Flexy-Draizy-droles-trains-SNCF-nous-prepare-2022-03-31-1201207981

Mais ces ovnis ont-ils un avenir au-delà du buzz médiatique? Et qu'en est-il dans nos contrées Lorraines?

Bon alors la première chose qui met l’esprit en alerte, c’est que les concepteurs ne semblent pas très à l’aise lorsqu’il leur faut expliquer à quoi pourrait bien servir leurs inventions. 

Réponses vagues, descriptions de disfonctionnements globaux mais sans lien apparent avec le produit.

Voyons tout de même les explications : "revitaliser les petites lignes dites de « desserte fine » du territoire". Sémantique à connotation positive mais pas très précise. 




Mais regardons tout de même, et posons-nous alors la bonne question. Les problèmes que rencontrent les "petites lignes" ferroviaires, qu’elles soient encore en activité ou non, pourraient-ils être résolus par l’introduction de ces petits trains ?

Alors premièrement, il se trouve que le principal problème de la plupart des petites lignes en difficulté ne tient ni d’un problème de matériel, ni du coût d’exploitation. Mais de disponibilité de l’infrastructure. Dit autrement, la maintenance d’une ligne n’est pas faite, elle finira par fermer, et ce quel que soit le train qu’on pourrait faire circuler dessus.


Second argument : ces petits trains pourraient-ils tout de même participer au développement des petites lignes grâce à un coût de fonctionnement inférieur ?



Alors là vient se poser un autre problème : leur faible capacité. Elle est très variable selon les prototypes énoncés, mais en dessous de la capacité d’un autobus (50 places)… Et bien il sera en principe toujours plus pertinent de mettre un autobus, fût-il décarbonné

A fortiori si le train en question ne peut même pas emprunter le réseau classique : il aurait pu alors avoir
l’intérêt d’éviter une rupture de charge ou d’arriver dans une gare ferroviaire sans perdre de temps en entrée de ville par rapport à l’autocar.

Mais là, on peine à trouver un avantage de mettre un petit train. Il faut financer une remise en état d’une voie ferrée, et souvent les arrêts sont plus éloignés des villages. 

Méfiance avec les véhicules peu capacitaires, ils ont vite fait de saturer en heure de pointe (voyez les #X73500 utilisés sur les "petites lignes").

Pour toutes les lignes qui ont fermé ces dernières années, même ces autorails, les moins capacitaires du parc avec environ 80 places assises étaient, les heures de pointe, sous-capacitaires (à part couplés en plusieurs rames).

Et c’est là qu’on retombe encore sur l’obstacle de la réactivation et l’entretien des petites lignes. 
Il y aurait dans le pays des centaines de lignes à rouvrir, même courtes, dont le potentiel dépasse largement la capacité d’un mini-train. 

Difficile donc d’envisager une candidate sérieuse. Même la ligne Sarreguemines – Bitche serait trop peuplée. Tiens d’ailleurs, par rapport à cette ligne, il y a un an nous était relaté une mise en situation bien concrète (on l’appelait "Taxirail"). https://c.republicain-lorrain.fr/economie/2021/03/07/un-taxirail-imagine-sur-l-ancienne-ligne-sncf-sarreguemines-niederbronn

L’exemple est un cas d’école : on présente un "modèle de mobilité innovant" comme alternative pour rouvrir une ligne, et qui vient se heurter à la condition… de rouvrir la ligne ! (et le cas échéant il serait pertinent de faire circuler un vrai train avec plus de 40 places). 


Enfin, souvent lorsqu'on rouvre une "petite ligne", c'est pour prolonger une liaison existante. Il y a peu de monde sur la partie rouverte, mais le train qui y circule, lui, charge tout le reste du parcours. On pourrait essayer de trouver de rares contre-exemples, par ex en #montagne où des voies ferrées seraient nettement plus efficaces que les routes.
Des chercheurs spécialistes ont estimé la solution "pertinente seulement sur une quinzaine de lignes en France".
Pas de quoi en faire tout un foin. Surtout lorsqu'aucune solution n'est données aux plus petites lignes que la #SNCF n'entretient plus.


Alors si maintenant, on s'intéresse à la problématique des trains légers, on peut tout de même leur trouver des domaines de pertinence. (Et dans ces cas-ci la limite se trouve ailleurs).
Finalement, là où les  trains légers seraient le plus utiles dans l'immédiat, c'est sur des lignes existantes et exploitées. En particulier au large des grandes villes.
Premièrement parce qu'il n'y a donc pas le préalable de la remise en route de l'infrastructure.


Dans ce cas présent l'idée est de réactiver non pas une ligne mais des haltes. 
Notamment au niveau de villages traversés ou bordés par une ligne mais pas desservis.
En créant des dessertes omnibus sur des segments relativement cours (maximum 30 kilomètres). De telles liaisons relieraient ces villages à l'agglomération ou la gare intermédiaire la plus proche.
C'est aussi l'opportunité pour des petites haltes, en activité mais qui voient s'arrêter trop peu de trains pour être utilisables, d'étoffer leur desserte.



L'enjeu en vaut la chandelle: cela multiplie les points d'arrêts desquels on peut se rendre en ville sans voiture. En particulier si on aménage des petits parkings autour des haltes. En assurant la desserte exclusive des haltes périurbaines, on soulage les trains qui s'y arrêtent actuellement; peu nombreux et qui vont souvent bien plus loin. Ces derniers deviennent plus rapides et attractifs à leur tour.


Par contre, il y a un prérequis indispensable pour garantir le succès: assurer la continuité du service (au moins 1 passage par heure en semaine).
Vu qu'il s'agit de déplacements courts, nul besoin de confort conséquent (on est plus proche de l'usage d'un tramway). 
Vu qu'on est sur des trajets courts, nul besoin de trains capacitaires. 
Une rame Coradia
Et vu que le train s'arrêterait régulièrement, il faut prévoir du matériel qui accélère et freine efficacement. C'est là que le train léger se révèle parfaitement adapté.
D'autant que les Régions ont dernièrement investi dans des trains capacitaires et sophistiqués (et chers à l'achat et la maintenance). 
Ces dernières années les nouveaux trains arrivés dans le parc régional sont des Régiolis et Coradia, entre 200 et 350 places assises.


Une rame "Z2"
... En remplacement des petites rames X4700, puis des increvables "Z2", au gabarit idéal pour le périurbain, mais qui manque d'accélération et de freinage.
Conséquence: ayant de moins en moins de "petits trains", surtout électriques, les Régions sont tentées de faire la chasse aux petites liaisons pour éviter les "trains qui baladent les sièges".


On a donc ciblé un domaine de pertinence du train léger (bien entendu il peut y en avoir d'autres mais là au moins on est sûr). Mais... Sommes-nous sûrs d'avoir besoin de nouvelles créations pour satisfaire la demande? Dans la plupart des pays du nord de l'Europe, des trains légers effectuent des missions telles que décrites dans les précédents tweets. 
A commencer par les emblématiques S-Bahn allemands.



Le tram-train de Mulhouse
En France les exemples sont plus rares, mais on en trouve facilement.
Il y a le cas de Nantes et Mulhouse, sur le modèle du tram-train. 
Mais on trouve aussi des exemples 100% réseau ferré, notamment les lignes de l'ouest de Lyon, au départ de la gare Saint-Paul, ou les tramways T4 et T11 en Ile-de-France
Autrement-dit: si les Régions ont besoin de trains léger, pas besoin de réinventer l'eau chaude! 

le tram-train de l'ouest lyonnais,
en gare de Lyon Saint-Paul

Il en existe déjà sur le marché, éprouvés, conçus pour s'arrêter et repartir fréquemment. Ils peuvent rouler jusqu'à 100km/h sur le réseau ferré classique. Une rame coûte moitié moins qu'une rame Régiolis.
Et cerise sur le gâteau, on en trouve qui sont fabriqués en France. (le Citadis Dualis d'Alstom) 


La question qu'on peut poser là: ne serait-il tout de même pas souhaitable de développer des trains encore plus légers et moins chers que ce type de tram-train, à quand même plus de 5M€ la rame?
Mais c'est là qu'on coince sur le problème capacitaire. Et il y a aussi l'optimisation du parc et sa maintenance, qui fait que les Régions et la SNCF ont meilleur compte à standardiser leurs trains. Quelques petites rames "innovantes" pour une ligne isolée ne pourraient pas bénéficier d'économies d'échelle.


Et maintenant la question que vous attendez tous: les trains légers en Lorraine?

Alors on va balayer deux cas de figure, en ne détaillant que là où une solution train léger semble pertinente. On a le cas de réouvertures de lignes, et le cas de création de desserte nouvelle sur des lignes existantes.


1) Les réouvertures de ligne:

L'ancienne gare de Sarralbe (57)
Vu qu’on peut refaire le monde à l’infini et fantasmer le réseau ferré de 1914, on se cantonnera aux projets avancés et aux lignes fermées récemment. Dans tous les cas qui vont suivre, le principal point bloquant de la réactivation de la liaison n’est pas un matériel roulant trop coûteux mais la remise en état de la ligne. 




gare de Mirecourt
(photo: ADLF Nancy Merrey)

Epinal - St-Dié et Nancy - Vittel : avant leur fermeture les 160 places assises des trains AGC circulaient rarement à plein ; il est en revanche difficile d’envisager des trains moins capacitaires que les A-TER et leur 80 sièges. 

Pareil pour Sarreguemines - Sarre-Union (a fortiori avec une prolongation jusqu’à Berthelming et Sarrebourg). 
Pareil pour la réactivation de la ligne de Gérardmer (a fortiori s’il s’agit de prolongements de trains Nancy – St-Dié)
 

L'ancienne gare de Sainte-Menehould (51)
Quant à Verdun – Saint-Hilaire (Châlons), la ligne traverse un désert mais a un potentiel de liaison inter-ville (Metz Verdun Reims) ; il faudrait envisager au moins un train type AGC.

Excepté Verdun – Saint-Hilaire, le train léger pourrait être adapté. Mais la Région dispose déjà de matériel adapté (A-TER 73500).

C’est là qu’est aussi à prendre en compte les évolutions du parc régional TER à venir, parce que c’est bien cela dont il est question.

La région Grand Est va acquérir des trains électriques (TER2N), bimodes élec/diesel (Régiolis), et élec/hydrogène.

Ces arrivées au cours de la décennie 2020 devraient remplacer et libérer du matériel 100% thermique (AGC et ATER notamment). 
Et donc si dans les années à venir la réouverture de certaines lignes était envisagée, on aurait du matériel adapté de disponible. Ces trains arriveront progressivement en fin de vie à partir de 2035 (pour les premiers ATER). 
2035, c’est aussi l’échéance de la SNCF pour sortir totalement du gasoil. La radiation des trains suivants (AGC thermiques) pourrait donc être anticipée pour tenir l’échéance. A cette échéance, les trains légers « décarbonés » constitueront une parfaite succession. A condition qu’ils aient fait leurs preuves d’ici-là.

2) Sur les lignes existantes.

Alors là par contre on a beaucoup plus de possibilités : vu qu’il n’y a pas le préalable de réactiver la ligne, la contrainte principale réside bien sur le coût d’exploitation.
Ces liaisons pourraient être mises en place rapidement notamment autour des principales villes où les haltes périurbaines existent déjà (d’autres peuvent être créées dans la foulée).

Alors regardons ça. 
la gare de Nancy
a) Le meilleur exemple, le cas d'école: Nancy.

On y retrouve ce qui fait la spécificité du Sillon Lorrain: les liaisons en train léger sont inadaptées sur l'axe nord-sud (trop dense). 
Par contre c'est impeccable sur les lignes est-ouest. 
On peut même facilement "diamétraliser" les liaisons, (c'est-à-dire ici faire des trajets directs entre Toul, Nancy et Lunéville). 

On peut même envisager un prolongement à l’ouest vers Foug et Pagny-sur-Meuse.
On peut de la sorte décharger les lignes circulant sur ces axes de la desserte de ces haltes (Bar-le-Duc, Neufchâteau, St-Dié…)


b) Metz

L’étoile messine, à seulement 3 branches, rend moins évidente une diamétralisation est-ouest en complément du sillon lorrain. Mais il en y raccrochant la ligne de la vallée de l’Orne on peut dans le même temps "revitaliser" (vraiment) la desserte de cette dernière.

Malgré la densité de la vallée de l’Orne, sa desserte est faible et désorganisée. Une telle ligne en train léger permet de répondre à toutes les problématiques à la fois. 
On décharge également les trains de Sarrebourg des haltes périurbaines de l’est de Metz.


c) Thionville

C’est un cas à part. On est au cœur d’une agglomération de plus de 100 000 habitants, mais c’est surtout la forte mobilité vers le Luxembourg qui fait la différence. 
Avec un rabattement sur la gare centrale des trois branches secondaires (en vert), on offre une alternative à la voiture à beaucoup de monde.
A noter la possible réactivation de la ligne du Pays Haut entre Audun-le-Roman et Baroncourt, déjà électrifiée.


Toutes les lignes précitées étant électrifiées, le matériel utilisé à l’ouest lyonnais semble parfaitement adapté. De capacité modeste, ils peuvent circuler en heure creuses sans accuser un taux d’occupation trop faible. Il peut être couplé aux heures de pointe.
Ajoutons qu’à l’échelle de la région, un schéma similaire peut être réalisé sur l’étoile de Reims.
Des dessertes peuvent être créées pour les villages le long de la Marne (par tronçons de Dormans à St-Dizier), ou la haute-Seine de Nogent à Troyes (voire Bar/Seine).

En Alsace c’est moins évident. La densité est plus forte et le réseau secondaire n’est pas électrifié, A Strasbourg, les trains légers seraient vraisemblablement trop petits. Mulhouse a déjà son tram-train.
Par contre, la clé de voûte du succès de toutes ces idées de desserte de type S-Bahn, c’est la continuité du service toute la journée, avec au minimum une rotation par heure de 5h à 21h.
Et c’est ce qui nous amène à une dernière réflexion dans la foulée. 


3) Pour revenir au problème initial de ruralité:


L’enclavement des zones les plus reculées.
Et si la plus grosse lacune ne tenait pas au mode (train, car, soucoupe volante…) mais à la fréquence de passage? C’est peut-être plutôt ça le principal problème : avec quatre bus par jour, tous juste calés pour amener les gamins au collège, on est censé pouvoir se passer de bagnole ?
 


Le constat est d’autant plus flagrant dans nos régions frontalières. C’est sans doute dans les villages frontaliers du canton de Bouzonville que la différence saute le plus aux yeux. Tandis que dans nos villages de Moselle, le nombre de bus qui passent au quotidien se comptent sur les doigts de la main, de l’autre côté de la frontière tous les villages ont une liaison bus avec Sarrelouis toutes les heures.
 
Envisager une meilleure desserte rurale en faisant baisser le coût du train n’a pas grand sens. Remplacer les quatre bus par quatre tiny-trains, ce serait supposer nous changer la donne ? Face à une offre aussi anecdotique, l’urgent n’est pas de faire venir une ligne de train, c’est de massifier sensiblement les passages des bus.
Et si l’intérêt de développer les transports en commun en milieu rural, outre le service rendu, c’est de baisser les émissions de CO2, il sera tellement plus efficace de viser la réduction du nombre de voitures que de précipiter la dé-dieselisation des trains. Parce qu’à ce compte-là, on peut carrément fermer toutes les lignes non électrifiées, et on obtiendra d’excellents résultats bureaucratiques. Sur le terrain en revanche, la plus-value écologique sera moins aisée à saisir…


Et pour revenir à notre sujet de départ, la conclusion c’est que là-encore, même en nous mettant en situation, ce n’est pas les nouveautés « innovantes » qui vont permettre quelque chose qui serait impossible sinon. Alors, petit conseil de lecture que je ne saurais que trop vous recommander à tout moment : Bien distinguer ce qui relève d’une solution à un problème concret, et d'un gadget mis en grandes pompes sur le marché sans trop savoir s’il pourra réellement servir. 


En fait, c'est un peu tout le travers de ce qu'on appelle la "politique de l'offre" : au lieu de cibler un problème et chercher à y répondre concrètement, on va attendre passivement qu'une solution clé en main nous tombe du ciel. D'ailleurs dans les sphères politiques, cette vision confère de plus en plus à l'idéologie depuis une quinzaine d'années.
Par rapport à notre sujet, la communication gouvernementale est encore plus éloquente!

Plutôt que de lancer un appel d'offre dans un but précis pour répondre à un problème précis, le gouvernement organise des salons virtuels. 
On ne sait pas où on va, mais sait-on jamais, on pourra peut-être récolter des idées intéressantes.


EN CONCLUSION :

1) Le principal frein à la réutilisation d’une voie ferrée, c’est sa remise en état, pas le coût d’exploitation du train qu’on enverrait dessus.


2) Les régions disposent déjà de matériel adapté pour les petites lignes à faible potentiel.





 
Clermont-en-Argonne (55)
3) Le pays fourmille de lignes ferroviaires fermées dont le potentiel voyageur écrase largement le domaine de pertinence d’un mini-train (<80 sièges).

 

4) Le principal problème de mobilité en campagne ne tient pas tant au maillage des réseaux #TER et autocar qu’à leur offre de service beaucoup trop basse et dilettante. 






5) C’est paradoxalement autour des grandes villes que le train léger trouve sa meilleure pertinence, de par le succès garanti du développement de la desserte périurbaine, et les répercussions positives en baisse d’embouteillage et de pollution.
 







L’idée de ce récit n’était donc pas tant d’accabler ces pauvres bébêtes futuristes de tous les maux de la terre, que de déplorer la méthode du gouvernement, qui détourne ostensiblement le regard des problèmes de mobilité de nos campagnes en faisant semblant d’y répondre.


Voilà ce qu’il y avait à dire sur ce sujet.
A la prochaine !


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Episode 19 👉Gare de Béning: ouverture vers Merlebach 👈 (16/10/24)

Episode 16: 👉Réactiver la voie ferrée Fontoy – Audun-le-Tiche ? (8/11/23)

Episode 20 : ▶️le transfert des routes nationales à la Région.◀️ (18/12/24)