Episode 3 : Lecture critique du LIVRE BLANC DES #MOBILITÉS, achevé ces dernières semaines. (4/05/22)


 La Région Grand Est a sorti récemment son "livre blanc des mobilités". 

https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/pont-a-mousson-les-elus-lorrains-signent-le-livre-blanc-du-grenelle-des-mobilites-et-ses-neuf-engagements-2351326.html

Voici le lien vers le document en question : https://www.grandest.fr/wp-content/uploads/2017/05/20211119-grenelle-lor-livre-blanc.pdf

Qu'y découvre-on au travers de ces 76 pages? Quels sens donner à ce contenu? 

Voici un petit passage au crible et quelques clés de lecture.

Pour commencer, de quoi s'agit-il ? A l'origine, un "livre blanc" (terme piqué au monde de l'entreprise) désigne un document stratégique synthétisé. 
«Il répond à une problématique prédéfinie et aide le lecteur à opter pour une solution ou à prendre une décision.» 

Et en fait, on est bien dans cet esprit-là.
Nous allons cependant rencontrer deux principaux problèmes:
- Ce n’est pas du tout vendu comme cela, mais plutôt comme un document d’orientation politique
- Même en tant que "livre blanc" le contenu reste très vague et l’interprétation très ouverte.


Quel est l'objectif, d’abord, de ce document ?
Et bien on se heurte déjà à un premier problème : les réponses sont assez vagues et évasives.

Du côté de la Région, il y a eu beaucoup de com', mais aucune explication sur les objectifs de tout ce cycle de travail.

 
D’après l’AGURAM, une des agences d’urbanisme qui ont piloté le travail, il s’agit de répondre à la question "Comment penser les mobilités de demain en Lorraine ? 

Dans l’introduction (p3), des objectifs apparaissent, mais restent vagues et conceptuels (en fait, cela préfigure le contenu de l’ensemble du document). 


Alors allons directement à l’essentiel: le fond. Qu’apprend-on de concret dans les transformations à venir de la mobilité en #Lorraine ? Et bien pour ainsi dire rien de nouveau. Déjà pour y extraire des projets concrets, il faut très bien chercher, et lorsqu’on en trouve, il s’agit en fait de « coups partis ». Rien de nouveau sous le soleil, donc !

La presse locale l’avait d'ailleurs déjà relevé.
https://c.republicain-lorrain.fr/politique/2021/11/25/mobilites-un-grenelle-un-livre-blanc-et-quelques-chantiers

1ère partie: le contenu de ce document transpire surtout l'opération de communication. Sur le travail effectué, et surtout sur l'aspect collaboratif, largement concerté.
Comprenez bien: la Région ne prend pas ses décisions seule!


Tout au long de ces 76 pages, si on peine à extraire des conclusions précises à tout ce travail, on ressort en revanche convaincu d’une chose : du travail il y en a eu, et beaucoup !
En fait, le principal message de cette production, c’est surtout ça : décrire elle-même.
On ne va donc pas pouvoir passer à côté du nombre de participants (près de 170, et deux pages pour les nommer exhaustivement), et beaucoup de citations de certains d’entre eux.
Cette mise en avant particulièrement insistante, assez inhabituelle, nous interpelle.

On note un élément troublant : malgré la réunion de 160 participants aux profils aussi divers, impossibilité à avoir accès à des données élémentaires (ici la composition des flux de marchandises, p67), et ce malgré moult études menées ces quinze dernières années, et en particulier lors de la création de la plateforme de Bettembourg et le débat A31bis.




Mais le point le plus flagrant qui se dessine tout au long de ce document, c’est l’absence de concret
De fait, on y retrouve les chantiers engagés sur la ligne ferroviaire Metz – Luxembourg, les aménagements comme les prévisions de renforcement d’offre de service.
En dehors de cela, rien. Que de la réflexion, beaucoup de philosophie, concept et de slogans (par exemple ici p65) 


 


Dans les « propositions retenues » : rien de concret (p29)  




Et dans les orientations : « approfondir les études » - ici on remet le couplet sur le développement autour des gares. Avec des titres en phrases qui ne veulent rien dire et propositions coquilles vides. Beaucoup de répétition de phrases et d’idées déjà écrites dans les paragraphes précédents > remplissage. Concept (« urbanisme pro-gare ») (p31)




Et « pour aller plus loin », il n’est pas donné de perspectives à plus long terme, mais du "benchmarking" (ici à Genève, p62)
 



Parfois, cela confère même au charabia ! (p13)  

Le seul projet concret avancé : le REM. Mais là, on communique sur un « coup parti », quelque chose de prévu, d’acté et de travaillé depuis longtemps. 




Même la perspective de « mise en réseau », lorsqu’elle est évoquée (p60 et 61), elle se cantonne à de la communication et de la création de comités. 
(en bref : l’habituel piège de la bureaucratie et la réunionite)


   
Pourtant, la lisibilité tient avant tout à une offre de transport en réseau cohérent, une signalétique et une billettique simple et unique. 
Mais les orientations retenues se cantonnent à de la communication. (ici p35)



Et bien-sûr remettre une louche de nouvelles technologies et autres « innovations », sans bien-sûr en citer un exemple dont l’intérêt serait bien identifié. 
Ah ça, ce n’est pas explicite, mais c’est bien présent entre les lignes : pousser les "Nouvelles Technologies" et imposer l’entrée de nouveaux acteurs, malgré des résultats peu encourageants jusqu’à présent.

A l'inverse, aucune avancée sur des thèmes fondamentaux.
Par exemple: la mise en accessibilité PMR des haltes ferroviaires, censées être achevées pour 2015 et dont on est encore trèèèèès loin!

Avec une accélération du calendrier, au moins pour des gares intermédiaires (Uckange, Maizières, Woippy, PagnySurMoselle, ArsSurMoselle, Pompey, Varangéville...). Et une ouverture d'accès arrière pour certaines d'entre-elles (Uckange, Woippy...)
 
Aucune piste non plus sur la protection des habitations à proximité directe des infrastructures de transport. 
Le Sillon lorrain se caractérise pourtant tristement de voies ferrées et surtout d'autoroutes dans les grandes agglomérations.
 
Pas question non d'un plan de développement, ultérieurement au REM, de la desserte des étoiles ferroviaires des grandes gares. Notamment Thionville, pour attirer les frontaliers des villages alentours vers le train 




Ne parlons même pas de projets de réouverture de lignes ferroviaires. Il n'y a pourtant pas beaucoup de projets en Lorraine (Fontoy - Belval, Gérardmer, et plus au large pourquoi pas Sarre-Union et Verdun - Châlons).


Pourtant… tout cela est bien dommage, parce que sur le fond, on trouve des bonnes question bien posées.
A commencer par celle-ci : La mobilité ne peut-elle pas être réduite ? (p7)

Ou celle-ci (p4):   




Dommage qu’il n’y ait si peu de suite à ces excellents préceptes, par ex « n’augmenter les infrastructures que si nécessaire » (p13)
Que de bonnes intentions! Dommage qu’on les ait entendues déjà des dizaines de fois. Il est si facile d’enfoncer les portes ouvertes. (p41)



Et même lorsqu’il est tenté de donner des propositions concrètes, on n’arrive pas à passer le cap de l’intention et du renvoi vers des études plus approfondies (p67) 
 


La déception était visiblement attendue, puisque le Président de la Région l’a déminée d’emblée : 
« Je commence par saluer les esprits chagrins qui pensent que ce travail ne va rien changer ». 
Enchanté !


Hasard du sort, le Luxembourg vient dans le même temps de sortir son "plan national de mobilités" pour 2035.


Et la comparaison des deux documents est effarante.
Evidemment, rappelons-le d'emblée, les moyens ne sont pas les mêmes. Mais c'est surtout la différence méthode qui est flagrante. Sur le PDF Lux., là c'est du concret. Les explications vont droit à l'essentiel et on ne perd pas de temps. (ici p20)
 





C'est "voilà où on en est, voilà ce qui va changer, voilà ce qu'on va faire, voilà ce que ça donnera. 
Avec des illustrations, cartes, plans et explications en toute simplicité. Comme quoi c'est possible. (ici p54)

Alors ce document luxembourgois n'est pas censé être un "livre blanc", mais chacun pourra observer la différence entre ces deux papiers, tous deux présentés comme des documents d'orientation où sont actés les projets futurs. 






EN CONCLUSION :
Le document est tantôt présenté comme un document actant les projets de mobilité en Lorraine, tantôt comme un livre blanc, dont le but est de fixer le « logiciel de pensée » en amont des décisions concrètes.

On a un peu des deux : une compilation des projets déjà actés, et des intentions (intéressantes mais trop vagues pour être contraignantes)
Globalement on est plus proche du livre blanc. Rappelez-le aux élus qui chercheraient à se cacher là-derrière pour tenter une opération "greenwashing". Non, il n’y a rien de nouveau.

Au moins, plein d’acteurs lorrains auront pu s’exprimer (refaire le monde) en atelier.
 
Mais hélas, ces développements sont bien trop ouverts, évidents, consensuels, pour prétendre avoir une incidence sur l’action régionale des années à venir.

C’est à se demander si tant d’efforts, d’heures de boulot, sans parler de la coordination, n’étaient pas ce qu’on appelle du bulshit : du travail, beaucoup de travail, dans le vide, mais qui constitue un excellent alibi… 

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