Episode 11 : ➡️L’A31bis⬅️ : Analyse technique du dossier de concertation (30/11/22)


Jusqu’à la fin de l’hiver, l’Etat organise une consultation publique pour arrêter le projet A31bis, avant de lancer sa construction. 



En gestation à durée indéterminée depuis sa relance en 2015, le projet A31bis a été scindé en trois secteurs. Du Sud et du Centre, il ne reste plus grand chose de bien déterminant.


En revanche, le secteur Nord autour de Thionville a été maintenu tel quel.











Le nouveau cycle de concertation qui vient de s'ouvrir ne concerne donc que ce secteur Nord.
La mise à 2x3 voies entre l'extrémité sud de ce nouveau barreau et l'échangeur de Richemont.
Le tout est réalisé "sous concession", cad par des financements privés. Le barreau neuf sera à péage; l'A31 élargie au nord de Thionville deviendra elle aussi payante.

Un doute demeure sur une éventuelle mise à péage de la section Richemont – Illange dans le cas de la réalisation de la variante F10

Tout ceci a déjà été arrêté par l'Etat. La concertation présente, menée sous l'égide de la Commission Nationale du Debat Public se limite à choisir, parmi quatre variante pré-déterminées, comment sera réalisé le tronçon neuf de contournement de Thionville.
 zoom des quatre variantes (trois tracés)


L’objet de cet épisode sera de se focaliser exclusivement sur ce dossier de consultation.
Il n'y sera donc pas évoqué l’opportunité du projet ni son adéquation à son environnement ou son époque.










Allez c’est parti !


1. Quelques remarques préalables

Tout d’abord, il est difficile de passer à côté d’une contradiction de forme, dès la préface rédigée par le préfet.

Il est indiqué que « le public éclaire l’Etat ». Affirmation d’usage particulièrement hyperbolique, tant le degré de liberté (choisir un scénario parmi quatre proposés sans discuter du projet lui-même) est modique…
 







Plus loin, l’Etat utilise la généralisation de la voiture électrique pour se défausser du problème de la voiture individuelle. Certes, la transition est dans les tuyaux, entérinée par la législation européenne. 

  encart page 27

Mais les temps récents de la transition énergétique nous ont montré que d’ici 2035, nous ne sommes pas à l’abri de quelques renoncements ou de reports. Difficile de prétendre honnêtement que d’ici quelques décennies la flotte de voiture soit entièrement décarbonée.
 



Entrons ensuite dans les sujets plus centraux.

2) Un trafic qui ne correspond pas à celui d'une autoroute classique

Une grosse lacune que nous pouvons identifier sur ce dossier (tout comme les précédents), c'est une notion de fluidité trop théorique.

Illustration A31 (photo Pierre Heckler)






Il y a une lacune sur l’origine des embouteillages. La présentation pose problème car il est expliqué que la fluidité dépendrait du nombre de voies et du trafic journalier. Approche théorique qui écarte l’essentiel.

Le trafic journalier ne veut pas dire grand-chose. Sur ce secteur, s’il était réparti tout au long des 24h d’une journée il n’y aurait pas de problème. C’est le trafic sur une heure de pointe qu’il faut étudier. Or, l’étude est intégralement en trafic journalier.
 

ci-contre: p18







On est là dans le cas de trafic qui ne ressemble pas à celui des autoroutes de transit habituelles, mais plutôt à du trafic d’agglomération. Les conditions de circulations sont normales l’essentiel du temps.
  
Le trafic sur l’A31 à Kanfen (source : dossier du maître d'ouvrage A31bis 2015). On voit la différence entre les heures de pointe et le reste du temps. 








L’ajout de voies supplémentaire n’est jamais la solution. Cela nous donnerait une infra surdimensionnée les 80% du temps, et toujours congestionnée aux HP. (Et tout le monde qui paye). La croyance que l’A31bis supprimerait les bouchons est un leurre.  

Illustration H Coste


Mais puisque les problèmes ne concernent que quelques heures d’une journée, l’option de régulation des vitesses est plus adaptée. On constate qu’elle n’est pas appliquée. Ce ne sera pas le cas tant que les panneaux imposeront des restrictions aux heures creuses en conditions normales. 

illustration @maxppp

Et aussi (suggestion au passage) un radar tronçon serait particulièrement efficace entre Elange et Zoufftgen. Sans se prononcer sur ce levier "punitif", la mauvaise conduite très répandue dans ce secteur est l’une des premières responsables des ralentissements. 
 

Les ralentissements trouvent le plus souvent leur origine sur des obstacles bien identifiées, souvent des échangeurs. Or, par exemple ceux de Thionville sont toujours embouteillés aux heures de pointe, et c’est souvent là que se situent les temps de parcours les moins fiables. L’A31bis n’y changera rien.


Seuls les plus gros échangeurs, ceux qui nuisent le plus à la fluidité du trafic sont correctement identifiés (p6). En revanche, le domaine d’étude est toujours assis sur une mauvaise base : l’A31 est étudiée indépendamment de son environnement.

On touche du doigt le problème d'une approche trop centrée sur le transit routier.
Inévitablement, cette manière de voir les choses favorise le trafic de transit le long de l’A31, au détriment du trafic régional et surtout local, pourtant ultra-majoritaire. 

L’A31 entre Metz-nord et l’Ils Fort Moselle 

(photo France Bleu)

L’échangeur "Origine" (A31xA33 à Laxou) est particulièrement emblématique : il est relevé une discontinuité de l’A31, alors que les études complémentaires menées en 2015 avaient montré que ce trafic est minoritaire sur cet échangeur.
On voit bien la lacune, et l’erreur d’approche qu’il y a derrière. Ainsi, les agglomérations y sont considérées comme des obstacles au bon écoulement du transit routier, alors qu’il est minoritaire. Les nuisances apportées par l’A31 à ces villes sont quant à elles éludées.



Toujours dans les lacunes d'approche:

3) Un domaine d'étude à géographie variable

Les études se limitent à la partie française (on verra que parfois le document s’étend sur le Luxembourg). Or, cette limite permet d’invisibiliser quelques effets délétères, dont le renforcement d’effet d’entonnoir sur la croix de Bettembourg. A cet endroit, le trafic du sillon lorrain est rejoint par celui arrivant de Sarre. On constate un effet d’entonnoir à l’heure actuelle, avec 2x2 voies.
 
encart p37. La situation sur la partie luxembourgeoise est occultée de l’étude 



La logique des choses voudrait que la section à 2x3 voies commence à cette jonction (croix de Bettembourg en convergeant vers le nord). Sans cela, l’effet d’entonnoir sera toujours présent après. Voire accentué avec la hausse de trafic attendue.
L’effet d’entonnoir se retrouvera aussi accentué sur les échangeurs de Gasperich et l’A1. 
On a aussi un problème de conception différentes d’élargissement de part et d’autre de la frontière. (on verra cela plus loin)

En arrivant sur la croix de Gasperich (photo Maurice Fick)

Mais le plus frappant, c’est que parfois le dossier évoque la partie Lux. en toute discrétion. 
Par exemple p17, où il est indiqué que la vitesse moyenne entre Thionville et Luxembourg peut chuter de moitié aux heures de pointe par rapport à la normale (48 contre 90km/h). Il n’est évidemment pas précisé que l’essentiel du temps perdu se situe sur le territoire Luxembourgeois. Comme quoi il n’y a pas que les arguments qui sont sélectionnés en fonction de ce que l’on veut montrer. Le domaine d’étude aussi.


4) Un alibi "multimodal" monté de toutes pièces

Le dossier revendique une "approche multimodale" (intro et p24 à 27)
On peut comprendre un embarras pour justifier ce projet, mais l'affirmation est fausse. Il n’y a jamais eu d’approche multimodale autour de l’A31bis.

La lacune est d’autant plus flagrante que le Luxembourg a réalisé un « plan national de mobilités » paru en début d’année (on en parlait à la fin de cet épisode)
Là, on y voit une "approche multimodale".


Extrait p24

Avec une question posée correctement. Un diagnostic du territoire, mais surtout une projection vers quoi voulons-nous aller et comment gérons-nous tout ça, quels moyens nous donnons-nous.

L’illustration du chapitre multimodal (p24)
Côté France, l’ambiance est radicalement différente. Bien-sûr, les moyens ne sont pas les mêmes, mais là n’est pas le reproche. Le problème c’est la méthodo et le parti pris.
Ce qu’ils appellent « approche multimodale », ce n’est qu’un "brainstorming" des projets coups partis. 

Il y a un projet fluvial à Illange ? Hop, ça fait un alibi multimodal (en plus l’eau ça plaît aux gens). 
Il y a des projets d’augmentation des quais et des TER Metz-Lux ? Hop, ça fait un alibi multimodal, et là en plus ça tombe bien on est sur le même sillon. Mais ces projets ont été menés indépendamment à l’#A31bis. La réflexion multimodale n’a jamais eu lieu en Lorraine. 
Travaux d’allongement et de mise en accessibilité des quais d’Hettange-Grande, visite des élus régionaux en juillet dernier

Les autocars n’échappent pas à la règle. 
Il est évoqué (ci-contre, p28) des projets de TCSP sur la RD653. Encore un projet qui n'a rien à voir instrumentalisé pour verdir l'A31bis.



Surtout, il est indiqué que l’A31bis permettra "le développement des autocars transfrontaliers" grâce à une voie dédiée. 

Si aucun soin n’est apporté sur ces segments, en général en agglomération autour de Luxembourg comme de Thionville, l’autocar ne sera pas plus attractif. (Alors que son potentiel de développement est particulièrement intéressant).





5) Des prévisions de trafic biaisées

Le calcul d’estimation du trafic pose déjà problème, car il ne tient pas compte du trafic induit. 
La hausse du trafic nous est racontée comme une fatalité, comme la crue d’une rivière qu’on sait prévoir mais pas empêcher.
 

Ci-contre: célèbre illustration de Côté

Ainsi, nous n’aurions donc d’autre solution que d’accompagner cette augmentation du trafic, en ajoutant autant de bitume qu’il n’en faut.
On sait pourtant depuis les années 60 que tout ajout d’une voie ou d’une route supplémentaire contribue à doper l’augmentation du trafic. En particulier lorsqu’il s’agit de faire face à de la congestion, le même niveau de congestion est très rapidement rattrapé.

De ce point de vue, faire l’A31bis serait donc le meilleur moyen d’amener le nord lorrain à une situat° de sur-mobilité encore plus problématique qu’elle ne l’est déjà. A l’inverse, ne pas la faire aurait tendance à contrecarrer le phénomène. C’est ce qu’on a déjà observé.

Lors du débat public de 1999 sur l’A32 (extrait ci-contre), le document équivalent pronostiquait par exemple un trafic de près de 110k v/j à l’horizon 2010. Finalement, rien n’a été fait et le trafic est stabilisé depuis vingt ans autour de 85k v/j.

En 2003, le rapport Lépingle y allait du même catastrophisme et annonçait une thrombose générale de tous les tronçons de l’A31 avant 2015, voire 2010... 



Il y a aussi des tronçons où la croissance a été plus rapide, et globalement les prévisions n’étaient pas si erronées que ça. 
Mais on observe que les erreurs concernent essentiellement les prévisions les plus hautes. Proche de la saturation, le trafic se stabilise.

Enfin, le dossier occulte tout simplement l'implantation de générateurs de trafic supplémentaires sur l’A31. Difficile pourtant de passer à côté de la bétonisation du secteur de Terville, alors que l’offre commerciale dans le sillon lorrain est déjà excédentaire.
 Le Super Green à Terville en lisière du Linkling, implanté contre l’A31 

Ce parti-pris, celui de se placer dans une dynamique du toujours plus de flux alors que ceux-ci nous asphyxient déjà, s’interroge politiquement (colle-t-il à l’époque ?). En tout état de cause, l’appréhension de cette croissance de trafic est partiale.




6  Un projet (volontairement) alourdi

Sur le tronçon Elange – frontière à élargir, on constate une évolutiion par rapport à la  mouture de 2015. Il était alors question d’un élargissement à 2x3 voies. L’exclusivité de la voie supplémentaire aux transports en commun voire au covoiturage était évoquée à demi-mot.
A présent, il est question de faire une 2x3 voies PLUS 2 voies latérales TC/covoiturage, + 2 petites bandes d’arrêt d’urgence. Autrement-dit on est passé discrètement à un projet à 2x4 voies.
Le projet est à présent une mise à 2x4 voies. (p34)

Ce modèle ne semble pas raccord avec ce qu’il se fait au Luxembourg.
 
Les sources sont contradictoires, mais les plus fiables (les propos du ministre Bausch) évoquent bien un élargissement de l’A3 luxembourgeoise (en cours) à 2x3 voies, avec éventuelle réservation de la voie de gauche aux autocars aux heures de pointe par signalisation dynamique. Y autoriser également le covoiturage est à l'étude.

ci-contre: extrait AGAPE
ci-dessous: Actu Luxembourg

En plus d’un goulot d’étranglement au niveau de la croix de Bettembourg, on devrait en avoir un à la frontière où il y aurait un rétrécissement. 
Pourquoi réaliser une autoroute plus capacitaire en France, où le trafic sera toujours moins important ?
entre Thionville-Elange et la frontière, on peut insérer une 3° voies sans devoir refaire les ponts.
On peut voir une réponse à cela. En 2015, les ingénieurs des services de l’Etat avaient découvert que les ponts de l’A31 entre Elange et la frontière étaient construits suffisamment larges pour accueillir une troisième voie sans devoir être détruits et reconstruits.
Ce détail faisait chuter drastiquement la facture. L’estimation du coût de la mise à 2x3 voies de ces 13 km était ramenée à 30M€. A l’époque, on avait un projet de Toul à la frontière chiffré au total à ~1400M€, dont 
l’Etat prévoyait une contribution de sa poche d’environ 500M€. 

De plus ces 30M€ étaient inférieurs aux seuls coûts intrinsèques à la mise en concession (dmo 2015 p99) Bref, cette mise à 2x3 voies aurait finalement pu largement être réalisée sans péage.
Avec cette modification discrète, sous couvert de prendre en compte les TC (ce qui aurait été possible, à l’image du modèle Luxembourgeois), plus possible d’échapper à la reconstruction de tous les ponts. La facture passe de 30M à 200M€Et là évidemment dans ces conditions, difficile d’échapper à un financement par péage. Voyez l’effet papillon. 

Illustration : le pont Morandi à Gênes, après 
son effondrement en 2018 (EPA/MAXPPP
Et si c’est une coïncidence, c’est alors une double coïncidence, parce qu’il n’y a pas que cela. Page 19, le document nous parle d’une autoroute construite dans « les années 60 et 70 », et dont les ouvrages arrivent de toute façon en fin de vie. Quitte à devoir les renouveler prochainement, c’est l’occasion de le faire une bonne fois pour toute. C’est erroné.

 
S’il est vrai que la construction de l’A31 a commencé au début des années 60, on parle là d’un tronçon inauguré en 1981. Et des ouvrages standard de ce type ont une durée de vie entre 70 et 100 ansOn nous explique que ces ponts arrivent en fin de vie alors qu’en fait ils sont tout juste quadragénaires, et donc à peine à la moitié de leur espérance de vie… Les refaire est vraiment une obsession.
Du reste, bon à retenir: un élargissement à 2x3 "classique" de l'A31 sur les 13km entre Elange et la frontière se chiffrent à seulement autour de 30M€.

 illustration route départementale bondée [JDI (PA)]
7) Enfin, le dossier fait toujours l’impasse sur le risque de report de trafic sur les routes départementales parallèles en cas de mise à péage de l’autoroute. 

Jusqu’à présent l’Etat s’est borné à répéter que la fluidité retrouvée serait plus incitative que le prix. Sauf que la fluidité n’est pas garantie aux heures de pointe. Sauf que les arguments avancés restent très théoriques. Il est vrai qu’il n’y a pas vraiment de retour d’expérience similaire. 

Ce qu’on peut dire en revanche, c’est que les dernières autoroutes payantes construites (A19, A65...) ont été de cuisants échecs commerciaux, et les routes historiques n’ont pas été vidées de leur trafic. L’empirique n’est donc pas rassurant. 


8) Enfin, pour finir avec les points divers, on note que les projets de variante sont beaucoup plus précis que sur les dossiers précédents. 

Les échangeurs sont précisés. Ainsi remarque-on qu’aucune variante ne prévoit finalement d’échangeur intermédiaire à Florange. (p35) Et cela semble d’ailleurs difficilement réalisable.
De même, on voit (p41) que l'échangeur du bois de l'étoile deviendrait partiel.


Mais on remarque aussi que si les options de tunnels profond éliminent effectivement les nuisances sur les territoires traversés… les extrémités du tunnel sont envisagées très proches des premières habitations
 
Ci-contre, le cas du F4. Le tunnel a beau être profond, son entrée sud se fait au niveau des maisons de la Boucle du Millénaire, à Florange.






Dans la conclusion (p76), le dossier cède à la démagogie. Il est expliqué que l’itinéraire par l’une des variantes contournant Thionville serait plus attractif pour un véhicule en transit que le passage par Beauregard… grâce à une vitesse à 110 contre 90 à Beauregard…


En considérant ces itinéraires de distance à peu près équivalente, la différence théorique se calculerait en seconde… Un seul arrêt à un feu rouge perd déjà plus de temps. Cela dépendrait avant tout de la différence de coût du péage. 
Et au cas où le tarif serait le même quelque soit l’itinéraire choisi, l’itinéraire neuf serait probablement préféré, plus confortable en l’absence d’échangeurs rapprochés comme via Beauregard.





L’A31 à Beauregard, à Thionville

Pour finir, le paragraphe «cadre de vie» (p77) est du même calibre. Insister sur une baisse potentielle de la pollution à Thionville, c’est surtout masquer qu’en plus de créer une nvelle autoroute en milieu urbain, quoiqu’il arrive, le tronçon de Beauregard sera laissé comme tel.
 

Voilà pour l'essentiel (c'était déjà bien assez long comme ça)!
Cette lecture reste évidemment incomplète: il faudra prochainement consacrer un épisode ou deux à une critique du projet A31bis avec plus de hauteur. Et bien-sûr faire un topo sur les alternatives.
*FIN*
 
Ci-contre: un autocar de la ligne transfrontalière 300 au nouveau P+R de Metzange (photo: Agglo Thionville Porte de France)

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